Interview de Abou Kamate, DG du MASA / "MASA 2026 : Une édition plus ambitieuse, plus ouverte, plus internationale "

À dix mois de la 14e édition du Marché des Arts du Spectacle Africain d’Abidjan (MASA), le directeur général Abou Kamaté revient sur les ambitions renouvelées de l’événement prévu du 11 au 18 avril 2026. À la fois marché, festival et plateforme de formation, le MASA s’impose comme un levier majeur de structuration du secteur culturel africain. Sélection exigeante, accompagnement renforcé, ouverture vers l’Amérique latine… l’édition 2026 promet d’élargir les horizons.
MT : Bonjour Monsieur le Directeur, le compte à rebours a commencé. Vous avez lancé l’appel à candidatures pour la 14ᵉ édition du MASA, prévue en avril 2026 à Abidjan. En quoi cet appel constitue-t-il le point de départ d’une nouvelle grande édition ?
Abou Kamaté :
Merci de me donner l’occasion de parler de cette prochaine édition du MASA. Effectivement, l’appel à candidatures est ouvert depuis le 20 avril et s’étendra jusqu’au 20 août. Nous avons volontairement allongé cette période pour permettre aux artistes et compagnies de soumettre leurs dossiers dans de meilleures conditions.
Le MASA 2026 se tiendra du 11 au 18 avril à Abidjan, avec des possibilités d’activités décentralisées à l’intérieur du pays, en fonction des décisions à venir. Cette édition s’annonce ambitieuse. En 2024, nous avions déjà battu un record de candidatures, et les dynamiques mises en œuvre depuis nous laissent penser que nous atteindrons encore un palier supérieur. Nous sommes persuadés que l’édition 2026 établira de nouveaux standards et confirmera le MASA comme l’un des plus grands rendez-vous du spectacle vivant en Afrique.
MT : L’un des traits distinctifs du MASA est son caractère pluridisciplinaire. En plus d’être un marché, c’est aussi un festival. En quoi cet événement est-il essentiel pour les créateurs, les acteurs culturels et l’ensemble de l’écosystème artistique du continent ?
A.K. :
Le MASA est effectivement un événement à part. Il est à la fois un marché professionnel, un festival international, un espace de réseautage et une plateforme de renforcement des compétences.
Le MASA Marché est réservé aux artistes africains et afro-descendants. C’est une vitrine pour vendre des créations artistiques à des acheteurs et programmateurs venus de tous les continents. À côté, le MASA Festival traduit notre volonté d’ouvrir l’Afrique au monde. Il permet au public ivoirien de découvrir des œuvres issues d’autres continents – d’Europe, d’Amérique, d’Asie… Il répond à un objectif de démocratisation de la culture et d’éducation artistique.
Nous mettons également un point d’honneur à organiser des rencontres professionnelles autour de thématiques structurantes pour le secteur. Lors de l’édition 2024, nous avons accueilli plus de 700 professionnels de 59 pays. Le MASA est ainsi un lieu unique de réseautage, de visibilité et d’opportunités pour les artistes, les diffuseurs, les agents, les journalistes et tous les acteurs de la chaîne de valeur du spectacle vivant.
Depuis plus de 30 ans, le MASA accompagne l’essor de la création contemporaine africaine, dans toutes ses expressions : théâtre, musique, danse, humour, conte, cirque, marionnette, slam, arts de la rue… C’est une manifestation rare sur le continent par l’étendue des disciplines représentées. Et à chaque édition, nous veillons à hisser le niveau artistique, car notre ambition est de montrer au monde ce que l’Afrique produit de meilleur.
MT : Comment s’organise la sélection des artistes programmés au MASA ?
A.K. :
C’est une question essentielle. Chaque édition génère plusieurs milliers de candidatures, et malheureusement, nous ne pouvons accueillir qu’un nombre limité de groupes, en fonction de notre capacité logistique et financière.
La sélection du MASA Marché est confiée à un comité artistique international composé de 22 experts issus de 19 pays. Ce comité est le garant de la qualité et de l’équité du processus. On y retrouve des professionnels venus des États-Unis, du Canada, du Mexique, du Brésil, de la Corée du Sud, de la Suisse, de la France, mais aussi du Burkina Faso, du Nigeria, du Rwanda, du Cameroun, du Maroc, de la Tunisie, de l’Afrique du Sud, et bien sûr de la Côte d’Ivoire.
Cette diversité permet un croisement de regards et une sélection exigeante. La renommée des membres du comité rassure également les acheteurs, qui viennent parfois au MASA avant même de connaître la programmation, tant ils font confiance à la rigueur du processus. C’est pourquoi nous attendons aussi des artistes qu’ils répondent aux standards requis.
MT : Quels conseils donneriez-vous aux candidats pour optimiser leurs chances ?
A.K. :
Le premier conseil que je donnerais est de soigner la qualité des dossiers. Chaque information demandée doit être claire et complète. Par exemple, si nous demandons la liste des personnes sur scène, il est essentiel de préciser le rôle de chacun. Aujourd’hui, l’économie du spectacle ne permet plus de mobiliser des équipes pléthoriques aux fonctions floues.
Deuxièmement, il faut veiller à la qualité de la captation vidéo. C’est souvent l’élément qui permet au comité de se faire une idée du travail artistique. Une captation mal cadrée, mal éclairée ou mal sonorisée peut pénaliser une création pourtant excellente.
Troisièmement, les fiches techniques doivent être précises et rédigées selon les standards internationaux. Ce document permet d’évaluer la faisabilité d’un accueil dans les meilleures conditions. Enfin, un dossier de presse bien présenté, clair et synthétique, valorise l’artiste auprès des acheteurs et programmateurs.
MT : Des formations sont-elles prévues pour aider les artistes à se préparer à cet appel à candidatures ?
A.K. :
Absolument. Comme en 2024, nous organisons des formations d’accompagnement pour aider les artistes à construire un dossier solide et à mieux comprendre les attentes d’un marché international. La prochaine série de formations se tiendra du 16 au 25 juin.
Nous aborderons des thématiques essentielles telles que :
- Le fonctionnement d’un marché de spectacles ;
- La présentation professionnelle d’une œuvre ;
- La création de supports de communication adaptés ;
- Le montage d’un dossier artistique complet ;
- Les relations avec les programmateurs et les médias.
Nous mettons aussi en place des sessions plus ciblées pour accompagner les artistes rencontrant des difficultés spécifiques. L’approche est personnalisée et adaptée aux réalités des participants.
MT : Quel impact le MASA peut-il avoir sur la carrière d’un artiste ?
A.K. :
Le MASA est un accélérateur de carrière. Pour beaucoup d’artistes, la participation à cet événement marque un tournant. Je pense à cette jeune artiste ivoirienne rencontrée récemment au FEMUA. Elle jouera à Montréal en juillet prochain grâce à un contrat signé pendant le MASA 2024. Le MASA, c’est cela : une vitrine, une rampe de lancement, un label.
En 2026, nous allons renforcer cette dimension internationale avec un focus sur l’Amérique latine, une région encore peu explorée par nos artistes mais avec laquelle nous partageons beaucoup. Le Brésil, par exemple, abrite la deuxième plus grande communauté afrodescendante au monde. Nous voulons ouvrir de nouvelles portes, établir des ponts, et offrir à nos artistes de nouveaux horizons.
MT : Certains estiment que les artistes ivoiriens ne postulent pas suffisamment, alors même que le MASA est implanté ici. Quel est votre regard sur cette perception ?
A.K. :
Je pense qu’il faut nuancer. Les artistes ivoiriens postulent, sont sélectionnés et sont présents dans la programmation officielle. L’exemple de la jeune artiste évoquée plus tôt en est la preuve. Au-delà, ils bénéficient aussi d’un accompagnement renforcé grâce à notre proximité.
Nous avons mis en place plusieurs dispositifs spécifiques, comme le MASA Lab, un centre d’incubation qui offre un accompagnement artistique, technique et entrepreneurial, avec mise à disposition d’espaces de travail. Nous avons aussi le PEM N’Zassa Creative, financé par l’Union européenne, mis en œuvre avec Enabel et le collectif Palipali, qui propose des formations et des mobilités vers la Belgique pour renforcer les réseaux de diffusion.
Depuis la fin du MASA 2024, nous avons déjà organisé une trentaine de formations couvrant tous les aspects du secteur : technique, administratif, communication, gestion RH, comptabilité... Plus de 400 artistes et entrepreneurs ivoiriens ont été formés, et notre objectif est de doubler ce chiffre d’ici 2026. Car pour être compétitifs, nous devons miser sur la montée en compétences.
MT : Quel message souhaitez-vous adresser à l’approche du MASA 2026 ?
A.K. :
Le MASA n’est pas seulement un événement biennal. C’est une institution, un levier de structuration pour les écosystèmes culturels d’Afrique. Il accompagne les artistes tout au long de l’année, bien au-delà des huit jours du festival.
J’invite donc tous les artistes, entrepreneurs culturels, professionnels et amoureux de la création – qu’ils soient ivoiriens, africains, afrodescendants ou venus d’ailleurs – à se mobiliser pour cette édition. En 2024, nous avons accueilli 59 pays. En 2026, notre ambition est d’en accueillir au moins 70.
Je donne rendez-vous à toutes celles et tous ceux qui croient en une Afrique qui crée, qui innove, qui inspire, du 11 au 18 avril 2026, ici à Abidjan. Le MASA 2026 sera une fête, mais surtout une source d’opportunités concrètes pour le secteur du spectacle vivant.
Propos recueillis par MT
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