Fusillade de Dallas : Facebook accusé

C est une première : la fusillade de Dallas, durant laquelle des hommes ont fait feu sur des policiers, faisant au moins cinq morts, a été, dans quasi tous ses détails, diffusée en direct sur Internet par des internautes utilisant FacebookLive. Ce service, lancé en avril par le premier réseau social au monde, permet à tout utilisateur de diffuser en direct des images filmées par son téléphone portable. Une fois la diffusion terminée, la vidéo peut être à nouveau consultée, comme une vidéo classique.
La fusillade, qui a débuté alors que des habitants de Dallas manifestaient contre les brutalités policières, a été largement filmée par des témoins, qui, pour certains, filmaient déjà la manifestation lorsque les premiers tirs ont éclaté. Un manifestant caché derrière un arbre a ainsi filmé le début de l attaque(attention, les images sont très violentes). Un peu plus tard dans la journée, un homme, initialement présenté comme suspect potentiel par la police, qui avait diffusé sa photographie, a livré le fusil semi-automatique qu il portait à des policiers présents sur place. Là encore, la scène s est déroulée devant l objectif d un passant qui diffusait en direct sur Facebook Live. L homme a été rapidement mis hors de cause.
Filmer tout abus policier
La manifestation elle-même avait été organisée après la diffusion, la veille, d images filmées par la petite amie d un homme abattu par un policier alors qu il était dans sa voiture, près de Minneapolis. La femme avait commencé à diffuser sur Facebook Live les moments qui ont suivi les tirs, une vidéo bouleversante qui a provoqué une vive émotion aux Etats-Unis.
Aux Etats-Unis, où les caméscopes avaient connu un vaste succès commercial dès les années 1980, les images d amateurs d événements d actualité sont monnaie courante : il y a vingt-cinq ans, la diffusion des images du passage àtabac de Rodney King, un habitant noir de Los Angeles, avait déjà créé un débat national, qui avait redoublé après l acquittement des quatre policiers en cause et les émeutes qui avaient suivi.
Mais, pour la première fois lors d un événement d actualité majeur outre-Atlantique, ces images d amateurs ont été massivement diffusées en direct sur Internet tout au long de son déroulement même la police de Dallas a diffusé ses conférences de presse sur Periscope, un concurrent de Facebook Live, appartenant à Twitter. Ce changement d habitudes est d autant plus notable que les chaînes de télévision américaines payent parfois très cher les images d amateurs prises lors de grandes manifestations.
Une évolution qui tient pour beaucoup aux nouvelles méthodes d organisation des mouvements sociaux, aux Etats-Unis comme en Europe. Le mouvement Black Lives Matter, qui organisait la manifestation de Dallas, conseille à ses membres de filmer et de diffuser directement tout abus policier dont ils sont victimes, pour leur propre protection.
Détourner l outil
Pourtant, Facebook Live n a pas vraiment été conçu comme un outil pour militants politiques. Présenté lors de son lancement, en avril, comme un service permettant aux utilisateurs de « partager instantanément un moment avec les personnes qu elles aiment, amis, famille ou fans », le service a principalement été mis en avant par Facebook pour la diffusion d images « positives ». Son premier « fait d armes » majeur a été la diffusion, regardée en direct par 800 000 personnes, d une expérience du site Buzzfeed, où l on voyait deux journalistes enfilant des élastiques sur une pastèque jusqu à ce que cette dernière éclate.
Facebook, qui applique une politique interdisant les images violentes ou à caractère sexuel sur son site, cherche encore ses marques sur la manière degérer les vidéos diffusées en direct, par nature très difficiles à modérer. « Nous comprenons, et nous reconnaissons, qu il y a des défis inédits qui se présentent concernant les contenus publiés sur Facebook Live, a écrit l entreprise dans un communiqué jeudi 7 juillet. C est une responsabilité importante, et nous travaillons activement pour trouver le bon équilibre entre la liberté d expression et le fait d offrir à nos utilisateurs une expérience sécurisée et respectueuse. »
L entreprise s est pour l instant refusée à détailler le fonctionnement de sa modération pour les vidéos en direct son concurrent Periscope utilise un système classique de signalement des utilisateurs, qui devrait être enrichi prochainement d un module de vote permettant à un groupe de spectateurs dedécider si la vidéo est choquante ou non.
Censurer ?
Pour l heure, l entreprise est confrontée à un double problème : bloquer lesvidéos, violentes ou choquantes, de fusillade ou de brutalités policières reviendrait à censurer des preuves publiques, qui pour certaines se diffusent à très grande vitesse. La vidéo par la petite amie de l homme tué par la police près de Minneapolis a été inaccessible pendant une heure dans la nuit de mercredi à jeudi, provoquant une flambée d accusations de censure politique elle avait déjà été vue un million de fois. Facebook a expliqué avoir été confronté à un « problème technique ». Mais le service a aussi fait l objet de nombreuses questions en France, après le meurtre d un couple à Magnanville le meurtrier avait utilisé Facebook Live pour revendiquer l assassinat au nom de l organisation Etat islamique.
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Jeudi soir, peu avant la fusillade à Dallas, le fondateur du réseau social, Mark Zuckerberg, avait publié un message sur son compte personnel évoquant les événements de Minneapolis. « Les images que nous avons vues sont dures et bouleversantes, et elles montrent ce que des millions de membres de notre communauté vivent chaque jour. Bien que j espère que nous n aurons plus jamais à voir de telles images, elles nous rappellent à quel point il est important de nous rassembler pour construire un monde plus ouvert et plus connecté et le chemin qu il nous reste à parcourir. »
