Licencié pour avoir dit à sa supérieure qu'elle était sale

Après avoir exercé huit mois en tant que vendeur dans le secteur du luxe, Marco est licencié pour insuffisance professionnelle. On lui reproche notamment d'avoir insulté ses supérieures et une cliente. Il conteste son licenciement aux prud"hommes.
Les conflits qui animent les prud'hommes reflètent quotidiennement notre histoire sociale. L'audience en bureau de jugement est publique. Régulièrement, une journaliste de L'Express assiste aux débats.
Paris, tribunal des prud'hommes, section commerce, le 11 avril 2016 à 14 h55.
Le président (à l'avocat de Marco): "Votre client était vendeur? Quel était sa rémunération?"
Le président: "Vous nous rappelez vos demandes?"
L'avocat de Marco: "Dommages et intérêts pour rupture abusive, 15 000 euros et 2 500 euros d'article 700."
L'avocate de l'employeur: "Je demande 1 500 euros d'article 700."
Le président: "Vous nous décrivez rapidement le litige?"
L'avocat de Marco: "Ce sera bref. Mon client est entré dans la maison de couture le 9 octobre 2013, sa période d'essai a été concluante alors il a poursuivi en CDI. Il est convoqué à l'entretien préalable le 4 juillet 2014 et licencié le 16. Il a travaillé 8 mois. La lettre de licenciement est le noeud de notre débat, puisque c'est notre premier moyen de contestation pour insuffisance professionnelle. Or, l'employeur vise deux faits disciplinaires, je le cite : "Vous ne supportez pas l'autorité hiérarchique et vous avez été critique et menaçant". Les faits remontent aux 28 mars et 15 avril 2014, la lettre de convocation est datée du 23 juin donc les faits sont prescrits. On est dans un motif disciplinaire, pas dans de l'insuffisance professionnelle. L'employeur parle "d'inadaptation au poste". On peut broder autant qu'on veut, quand on est vendeur, l'emploi c'est la vente et mon client était très bon vendeur. Il était polyglotte. On n'entre pas dans une maison comme celle-ci sans être un excellent professionnel."
Le président: "Quels sont les faits reprochés par l'employeur?"
L'avocat de Marco: "Son N+2 fait une attestation de trois pages selon laquelle mon client aurait insulté une vendeuse et une cliente. On est en novembre 2013, il était en période d'essai, rien n'était plus simple pour l'employeur que de se séparer de mon client s'il était à ce point inadapté. Si les faits étaient aussi graves ils auraient été sanctionnés, d'autant plus que nous sommes dans le secteur du luxe où tout est codifié au plus haut point. Pour moi, ce licenciement est monté de toutes pièces."
Le président: "Vous avez l'art du teasing, maître, mais qu'a donc fait votre client?"
L'avocat de Marco: "Il était mécontent de ne pas avoir servi une cliente et le lui a fait savoir, ainsi qu'à ses supérieurs hiérarchiques. De plus, lorsque sa responsable lui a donné sa lettre d'entretien pour un licenciement éventuel, il lui aurait répondu qu'il ne la prendrait pas car il estimait qu'elle était sale."
Une conseillère: "Combien de personnes dans cette boutique?"
L'avocate de l'employeur: "Une vingtaine."
Une conseillère: "Et combien de vendeurs?"
L'avocate de l'employeur: "12."
Le président: "Et comment la partie adverse explique-t-elle le litige?"
L'avocate de l'employeur: "Mon contradicteur tente de brouiller le motif de licenciement. L'insuffisance professionnelle est-elle avérée? Oui, car vous aurez à constater l'incapacité du salarié à exécuter ce pourquoi il a été engagé. Dans le luxe, il faut le savoir, le savoir-faire et le savoir-être. Il doit être impeccable, son comportement est totalement inapproprié. A une cliente qui préférait avoir un autre membre du personnel que lui pour lui présenter les éléments de la collection, il ose lui dire en face que son comportement est irrespectueux. La politique de l'entreprise est simple: un client a le droit de choisir qui l'accompagnera pour la vente. Ce salarié n'a pas adhéré à cette politique. Or, il se doit d'en être l'ambassadeur. Une autre fois, excédé, il lance à sa responsable: "Vous n'êtes pas ma mère. Vous n'êtes que ma collègue". Puis il hurle : "Je ne veux plus travailler avec cette femme ". Le jour où elle lui remet sa convocation à l'entretien, il lui dit devant tout le personnel qu'elle est "sale". Quel mépris... Cette grande maison a fait une erreur de casting au départ, bluffée par ses références. Elle devait se séparer d'un tel vendeur qui faisait peur à sa supérieur et entretenait une ambiance détestable dans l'équipe."
Le président: "Vous avez quelle moyenne de turn-over?"
L'avocate de l'employeur: "Nous n'en avons pas. Dans ce temple du luxe, on adhère à une marque, à un esprit. Les employés sont très fiers d'en faire partie."
Le président: "Sur les demandes?"
L'avocate de l'employeur: "C'est totalement exorbitant. On vous demande 5 mois de salaire, pour 8 mois de travail. Je demande le débouté."
Le président: "Que fait ce monsieur aujourd'hui?"
L'avocat de Marco: "Il est vendeur dans une autre maison de luxe."
Le président: "Et cela se passe comment?"
L'avocat de Marco: "Très bien. Cela fait deux ans, et en plus il est mieux payé."
17h. Le président: "Les débats sont clos."
Verdict, le 11 juillet. L'affaire est renvoyée devant le juge départiteur.
Insuffisance professionnelle ou comportement inapproprié ?
"L'insuffisance professionnelle" - qui n'est pas une faute -, motif classique de licenciement, doit être motivé par des faits précis et justifiée par une cause réelle et sérieuse. Toutefois, "insuffisance" n'est pas forcément synonyme d'"incompétence"(Cour de cassation, pourvoi n°79-42754, 16 décembre 1981) mais peut recouvrir d'autres réalités. En l'espèce, les éléments mis en avant par l'employeur ne sont pas liés au travail du salarié mais à son comportement. Or, si l'employeur a un pouvoir de direction étendu, il peut aussi sanctionner un "comportement inapproprié" par une sanction disciplinaire ; celle-ci doit être proportionnée à la faute commise. Confrontés à un vendeur compétent mais peu apprécié par sa direction, les membres de conseil des prud'hommes n'ont pas, à l'unanimité, reconnu la validité du motif et préféré s'en remettre au juge départiteur.
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